Avocat réforme du droit des contrats

La réforme du droit des contrats, prise par Ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016, devrait entrer en vigueur au 1er octobre 2016 (sous réserve cependant de l’adoption par le parlement du projet de loi de ratification de cette Ordonnance, déposé le 6 juillet dernier).
Cette réforme a pour objectif de moderniser, simplifier, rendre accessible et sécuriser le droit commun des contrats. Il s’agit de la première révision d’ampleur de la partie « Le Contrat » du Code Civil depuis 1804.

Nous vous présentons trois bonnes raisons de soumettre vos contrats à l’œil critique des juristes et avocats :

– Connaître l’impact sur vos contrats en cours : le champ d’application et l’entrée en vigueur (A)
– Se saisir du principe de liberté contractuelle afin de limiter l’intervention du juge dans vos contrats (B),
– Comprendre les nouveaux principes régissant la négociation commerciale et les contrats : bonne foi et équilibre contractuel (C),

Ces trois sections feront l’objet de trois chroniques successives.

 

A- Entrée en vigueur et champ d’application : quel droit pour quels contrats ?

Tous les accords de volonté entre deux ou plusieurs personnes destinés « à créer, modifier, transmettre ou éteindre des obligations » sont régis par le droit commun des contrats qui fixe les règles générales. La règle réaffirmée selon laquelle le droit général s’applique sous réserve des règles spéciales vient temporiser le principe : les droits spéciaux (droit des contrats commerciaux, droit de la consommation, droit du travail etc….) priment sur les règles générales du droit commun.

Mais à la date de son entrée en vigueur, au 1er octobre 2016, quels contrats sont concernés par la réforme ?

• → les contrats conclus à partir de cette date seront soumis à la loi nouvelle,
• → les contrats conclus avant cette date demeureront soumis à la loi ancienne, en vigueur au jour de leur conclusion.

Qu’en est-il des contrats à durée déterminée (CDD) conclus avant cette date et tacitement reconduits à leur terme ?
Les CDD qui sont « continués » à l’expiration de leur terme produisent les mêmes effets qu’un contrat renouvelé. Or, le renouvellement de contrat (que ce soit par l’effet de la loi ou de l’accord des parties) donne naissance à un nouveau contrat. Par conséquent :

• → les CDD tacitement reconduits à compter du 1er octobre sont de nouveaux contrats régis par la loi nouvelle.

NB : Il faut distinguer les contrats renouvelés des contrats prorogés par une manifestation de la volonté des parties avant leur expiration, qui eux, restent soumis à la loi ancienne. Il en va de même des avenants en fonction de leur objet.

Les contrats à durée déterminée tacitement reconductibles représentent une grande part de nos contrats dans la vie des affaires. Il est important de prendre conscience des conséquences de la naissance d’un nouveau contrat, d’une part en termes de perte des accessoires et garanties, d’autre part, eu égard aux spécificités de la loi nouvelle qui est en grande partie supplétive.

Une règle supplétive n’est pas obligatoire ; elle s’applique à défaut pour les parties d’avoir prévu des stipulations contraires dans le cadre de leur convention, C’est-à-dire si elles ne l’ont pas écartée ou n’y dérogent pas.
Ce caractère supplétif des textes laisse donc une grande liberté aux parties si elles s’en saisissent (Objet de la chronique B – à suivre).

 

B- Principe de liberté contractuelle : s’en saisir afin de limiter l’intervention du juge dans vos accords

L’Ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016 consacre les principes de Liberté contractuelle (de valeur constitutionnelle), de force obligatoire du contrat et de bonne foi dans le respect de l’ordre public.

• « les contrats légalement formés tiennent lieu de loi à ceux qui les ont faits » (art. 1103). Il s’agit de la confirmation du principe déjà ancien selon lequel le contrat est la loi des parties.

• Une limite : « la liberté contractuelle ne permet pas de déroger aux règles qui intéressent l’ordre public » (art. 1102 al 2).

Peu de dispositions de l’Ordonnance sont expressément qualifiées d’ordre public ; certaines sont dites « impératives » ; pour d’autres, il est énoncé : « toute clause contraire serait réputée non écrite ».

L’Ordonnance n’affirme pas expressément le caractère supplétif de ses dispositions. C’est le rapport au Président y afférent qui souligne « le caractère supplétif, sauf mention contraire explicite de la nature impérative du texte concerné » (pour mémoire : une règle supplétive est celle à laquelle on peut déroger, Cf. chronique précédente).

Pour autant, sera-t-il possible de déroger à toutes les dispositions non expressément marquées « d’ordre public » ? Les tribunaux ne vont-ils pas se saisir de leur pouvoir d’appréciation pour définir ce qui relève des « règles qui intéressent l’ordre public » ? La jurisprudence à venir répondra à ces interrogations.

En tout état de cause, les acteurs économiques qui ne saisissent pas cette liberté d’aménager le contenu de leur contrat dans les limites fixées par la loi se verront appliquer, par défaut, les règles supplétives définies par le code civil réformé, lesquelles prévoient une possibilité accrue d’intervention du juge dans le contrat à l’occasion notamment des événements suivants :

- En cas de changement imprévisible dans les circonstances rendant l’exécution du contrat excessivement onéreuse, le juge pouvant réviser le contrat ou y mettre fin ;

- Dans les contrats-cadres, si une partie estime qu’elle est victime d’un abus dans la fixation unilatérale du prix, le juge pouvant le cas échéant, prononcer la résolution du contrat.

- En cas d’incident dans l’exécution de tous les contrats.

Cette double règle de liberté contractuelle encadrée et de capacité d’intervention approfondie du juge est une incitation en faveur de la négociation et de la rédaction personnalisée et adaptée de vos contrats dans le respect des grands principes d’ordre public qui régissent les obligations. Il faut anticiper les situations et prévoir les conséquences. À défaut, le juge le fera à votre place.

La prochaine chronique décrira les nouveaux principes encadrant la négociation et le contenu du contrat.

 

C- Comprendre les nouveaux principes régissant la négociation commerciale et le contenu des contrats :
La bonne foi et l’équilibre du contrat.

Au stade de la négociation : la bonne foi doit caractériser les pourparlers

L’Ordonnance a introduit une nouveauté dans le code civil: l’obligation de bonne foi au stade de la négociation et de la formation du contrat alors que le droit antérieur n’énonçait cette obligation qu’au stade de l’exécution. Nous attirons en particulier l’attention des lecteurs sur deux dispositions:

– Art. 1104 : Les contrats doivent être négociés, formés et exécutés de bonne foi. Cette disposition est d’ordre public.

– Art. 1112-1 : L’obligation d’information précontractuelle. Cette disposition est également d’ordre public.

Il n’est pas possible d’y déroger.

1/ L’idée était de renforcer la sécurité juridique de la période pré-contractuelle notamment en codifiant les solutions jurisprudentielles afin d’améliorer la connaissance au niveau international du droit français.

Ainsi l’obligation de négocier les contrats de bonne foi entre dans le code civil : loyauté, sincérité, coopération et rectitude sont dorénavant expressément de mise dans les échanges.

Le manquement à ce devoir engage la responsabilité de son auteur (art. 1112). En cas de méconnaissance, on ne sanctionne que la faute dans l’exercice du droit de rupture, étant rappelé que « chacun est libre de contracter ou de ne pas contracter » (art. 1102). La réparation n’inclut pas les avantages manqués que la partie créancière pouvait espérer de la conclusion du contrat.

2/ Déclinaison de la bonne foi, l’obligation d’information pré-contractuelle, déjà connue et détaillée dans certains droits spéciaux, fait son entrée comme devoir général et autonome dans le droit commun des contrats. Elle oblige les parties à communiquer :

→ Toute information dont l’importance est déterminante pour le consentement de l’autre
→ Si l’autre partie l’ignore légitimement ou lui fait confiance (quelle sorte de contrat visée ?).
→ Sont déterminantes les informations qui ont un lien direct et nécessaire avec le contenu du contrat.

Il est précisé que ce devoir d’information ne porte pas sur l’estimation de la valeur de la prestation (le prix). Ceci est confirmé par l’exclusion d’une éventuelle erreur sur la valeur de la catégorie des vices du consentement. Celui qui a contracté à un prix surévalué ne pourra s’en prendre qu’à lui-même.

Cette obligation d’ordre public impose une vigilance dans la conservation de la preuve des éléments communiqués et invite à instaurer un cadre processuel formalisé de négociation.

En effet, le manquement à cette obligation est susceptible d’entraîner, outre des dommages et intérêts, l’annulation du contrat (pour vice du consentement).

L’accroissement et la formalisation nécessaire de la transmission d’information appellera également une systématisation et un renforcement des accords de confidentialité pour se protéger contre la diffusion ses informations échangées.

On peut s’interroger sur l’étendue de cette disposition d’ordre général : s’applique-telle également aux contrats d’adhésion, tels que les conditions générales de vente et de prestations de service ?

Son positionnement dans la sous-section 1 intitulée « les Négociations » peut paraître exclure les contrats d’adhésion du champ de cette obligation d’information. En effet, les contrats d’adhésion sont définis comme ceux dont les « conditions générales sont soustraites à la négociation » (article 1110). Par suite, les dispositions relatives à la négociation ne devraient pas trouver à s’y appliquer et seuls les contrats de gré à gré seraient concernés.

Pour autant, il s’agit d’une obligation non seulement générale mais d’ordre public à laquelle on ne peut déroger. On a par ailleurs l’expérience de l’existence d’une obligation générale d’information pré-contractuelle en matière de droit de la consommation qui est précisément une matière dominée par des contrats d’adhésion dont la négociation échappe aux consommateurs. L’information pré-contractuelle n’est donc pas, en soi, incompatible avec les contrats d’adhésion.

Nous resterons donc attentifs à la jurisprudence, le rapport au Président n’apportant pas de réponse sur ce point.

 

A la recherche de l’équilibre Contractuel 

Après la bonne foi et l’information précontractuelle, examinons à présent les outils de la recherche de l’équilibre contractuel dans la réforme :

Volonté d’introduire davantage d’équilibre contractuel dans le contenu du contrat

Les dispositions nouvelles en faveur d’une justice contractuelle sont les suivantes :

– Article 1169 : Un contrat à titre onéreux est nul lorsque, au moment de sa formation, la contrepartie convenue au profit de celui qui s’engage est illusoire ou dérisoire.

– Article 1170 : Toute clause qui prive de sa substance l’obligation essentielle du débiteur est réputée non écrite.

– Article 1171 : Dans un contrat d’adhésion, toute clause qui crée un déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties au contrat est réputée non écrite.

Les termes des nouveaux articles 1169 et 1170 du code civil ne font que codifier une jurisprudence établie de la Cour de Cassation. Le second article aura vocation à s’appliquer à toute clause y compris les clauses limitatives de responsabilité privant de toute substance l’obligation essentielle prévue au contrat. Nos commentaires porteront donc essentiellement sur l’introduction de l’interdiction des clauses abusives dans le droit commun des contrats.

1/ Mécanisme d’élimination des clauses abusives dans les contrats d’adhésion (article 1171).

La notion de déséquilibre significatif était déjà connue de certains textes spéciaux :

• En droit de la consommation, le déséquilibre significatif caractérise les clauses « abusives » dans les contrats entre professionnels et non-professionnels. Ces clauses abusives sont réputées non écrites.

• En droit commercial, le fait de soumettre ou tenter de soumettre un partenaire commercial à des obligations créant un déséquilibre significatif dans les droits et obligations des parties engage sa responsabilité.

L’Ordonnance du 10 février 2016 introduit ce mécanisme d’élimination des clauses abusives dans le code civil, en droit commun, mais de façon circonscrite, aux contrats d’adhésion. Le contrat d’adhésion est, comme indique nouveau du code civil, « celui dont les conditions générales, soustraites à la négociation, sont déterminées à l’avance par l’une des parties » (article 1110).

Si le code de commerce a un champ plus large que les contrats d’adhésion, la notion a toutefois été principalement appliquée dans les contrats entre une partie faible et une partie forte –en droit de la distribution commerciale- lorsque le partenaire n’avait pas le pouvoir de négocier les clauses du contrat. Tous les contrats d’adhésion sont concernés, que les parties soient des professionnels ou des non-professionnels, mais du fait de la primauté des droits spéciaux sur les textes généraux, on peut penser que les relations professionnels-consommateurs seront régis par le droit de la consommation, bien que les textes puissent se superposer.

Dans les relations professionnelles (B to B), sont donc concernées par la nouveauté, les conditions générales de vente, de prestation de service ou d’utilisation, comprenant par exemple les contrats d’assurance, de téléphonie, ou d’abonnement en général (etc.) lorsque le professionnel n’a pas négocié les termes des conditions applicables. Il est précisé que le prix et l’objet principal du contrat échappent à cette appréciation.

Ces dispositions sont d’ordre public selon le rapport au Président. La sanction consiste à réputer non écrites les clauses litigieuses ; alors qu’en application des textes du code de commerce, le déséquilibre significatif se résout par des dommages et intérêts alloués en réparation du préjudice.

Il conviendra de veiller avec soin à la rédaction des clauses de ces contrats.
Il est toutefois rappelé à l’article 1168 que « Dans les contrats synallagmatiques, le défaut d’équivalence des prestations n’est pas une cause de nullité du contrat, à moins que la loi n’en dispose autrement » : il n’y a pas de devoir d’équilibre absolu entre les obligations.

2/ Sanction de l’Abus de l’état de dépendance

Autre sanction du déséquilibre : « Il y a également violence lorsqu’une partie, abusant de l’état de dépendance dans lequel se trouve son cocontractant, obtient de lui un engagement qu’il n’aurait pas souscrit en l’absence d’une telle contrainte et en tire un avantage manifestement excessif » (art. 1143).

Les commentaires indiquent qu’il s’agit de la consécration de la violence économique admise en jurisprudence, mais le rapport au Président précise que le texte est plus large : toute exploitation de l’état de dépendance, et non seulement de la dépendance économique, peut constituer un abus de nature à constituer un vice du consentement si le bénéficiaire en tire un avantage manifestement excessif. Une personne victime de harcèlement moral peut être dans un état de dépendance.

Cette disposition complète la panoplie des vices du consentement : erreur, dol, violence, abus d’état de dépendance dont la preuve peut entraîner la nullité du contrat.

Voici ainsi présentés les nouveaux outils visant à instaurer une plus grande loyauté : bonne foi, transparence, gardes fous contre les abus.

Avocat spécialisé en droit de propriété intellectuelle et NTIC à Aix-en-Provence

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Emilie Collomp