Dépôt d'une marque après l’expiration d’un brevet

Une marque ne peut se substituer à un brevet expiré en protégeant les mêmes caractéristiques techniques…

L’innovation dans le secteur des technologies médicales butte sur la limitation de la durée du brevet -20 ans- alors que la mise sur le marché des médicaments ou dispositifs médicaux est longue puisque soumise à autorisation ou à certification de sorte que lorsque le médicament ou dispositif médical pénètre le marché, la durée résiduelle du brevet n’est généralement plus de 20 ans.
Aussi, certains acteurs de l’industrie pharmaceutique tentent d’obtenir la prolongation de la durée de leur monopole d’exploitation du brevet en déposant une ou plusieurs marques protégeant certaines caractéristiques du produit lorsque leur(s) brevet(s) arrive(nt) à son (leur) terme.
Mais cela n’est pas si facile et le résultat n’est guère probant : les fonctions de ces deux titres de propriété industrielle ne sont pas identiques et gare à ceux qui tentent de faire jouer à leur marque le rôle de substitut de brevet : les cours et tribunaux n’hésitent pas à invalider les marques déposées dans le seul but de prolonger indument un monopole à durée limitée en empêchant les concurrents d’utiliser les composants brevetés désormais tombés dans le domaine public et d’investir le marché.
C’est ainsi qu’un fabricant de composants en céramique destinés aux prothèses de hanche et de genou a, une fois son brevet arrivé à terme, déposé trois marques figuratives de l’UE couvrant la couleur -rose- et la forme -ronde- du matériel en céramique précédemment breveté puis actionné en contrefaçon un de ses concurrents qui utilisait la couleur rose pour ses billes destinées à l’articulation des hanches.
Par arrêt confirmatif, la Cour d’Appel de Paris (1) a déclaré nulles les trois marques du fabricant qui servaient de fondement à l’action en contrefaçon.
Le droit des marques et en particulier le règlement (2) sur les marques de l’Union Européenne offrait aux Juges tous les motifs pour condamner de prolongation artificielle d’un brevet.
En effet, selon ce règlement sur la marque de l’UE :
– Doivent être refusés à l’enregistrement ou annulés s’ils ont été enregistrés, les signes exclusivement composés par la forme, ou une autre caractéristique du produit, nécessaire à l’obtention d’un résultat technique ;
– Est également cause de nullité, la mauvaise foi du demandeur au moment du dépôt. En savoir plus : Propriété intellectuelle et nouvelles technologies

En l’espèce, la forme (bille ronde) et la couleur (rose) découlaient des caractéristiques techniques du produit et nécessaires à leur obtention : en effet, la présence d’oxyde de chrome nécessaire à la dureté et résistance du dispositif donne la couleur rose au matériel et le dosage de ce composant était mentionné dans le brevet expiré.
Il ne s’agissait donc ni d’une forme ni d’une couleur arbitraires, pourtant nécessaires au caractère distinctif de la marque et dont l’absence est cause de nullité absolue.
Par ailleurs, la Cour a confirmé la mauvaise foi caractérisée du demandeur en tenant compte de son intention au moment du dépôt des marques litigieuses au vu des circonstances suivantes :
– La connaissance de l’expiration du monopole de brevet et de la préparation des concurrents à investir le marché avec des produits reprenant les composants nécessaires pour obtenir le résultat technique ;
– Le dépôt des marques litigieuses quelques jours après l’expiration du brevet d’où découlait son objectif de prolonger artificiellement son monopole sur une caractéristique technique afin d’empêcher ses concurrents de commercialiser les produits de même qualité.
Le fabricant titulaire des marques ainsi déposées qui agissait en contrefaçon contre son concurrent a donc été débouté de ses demandes et a également vu ses marques annulées.
La durée du procès lui aura peut-être permis de conserver ses parts de marché quelques temps et le montant de l’indemnité à laquelle il est condamné ne lui en fait certainement pas perdre le bénéfice.
Il faut cependant rappeler qu’une stratégie de marque complémentaire au brevet peut s’avérer fructueuse si le breveté dépose, en amont de l’expiration de son brevet, une marque valable (non composée des caractéristiques techniques de son produit breveté) sur laquelle elle va communiquer pour avoir la possibilité au marché de reconnaitre l’origine de ses produits et ainsi capitaliser sur la connaissance de sa marque et ses produits au sein du marché pertinent qui continuera à les réclamer, étant précisé que la marque est renouvelable indéfiniment.

23 sept. 2021
(1) arrêt n° 18/15306- du 25 juin 2021
(2) Règlement UE 207/2009 du 26 fev. 2009

Avocat spécialisé en droit de propriété intellectuelle et NTIC à Aix-en-Provence

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Emilie Collomp